Maîtrise (1984)
Alignement de chaises et de tables. Ce jaune moutarde si peu harmonieux qui revient, chaise après chaise, table après table. Feuilles griffonnées ou colorées, écritures soignées ou improvisées. Ici, un gobelet de café vide. Là, un paquet de biscuits entamé. Amoncellement de feuilles, stylos, trousses, règles, crayons, calculettes, classeurs, gommes…
Le tableau est blanc. Désespérément blanc.
Silence.
Le bruit du papier tourné et retourné, froissé, gratté, gommé. Le bruit de la recherche frénétique d’un stylo, ou d’une cartouche d’encre, dans une trousse. Le bruit de ses pas qui parcourent la salle depuis le début. Pincement inquiet des lèvres, tête prise entre deux mains, menton gratté avec scepticisme, ongle rongés méthodiquement, cheveux tirés puis arrachés, sourcils froncés, crayon mâchonné.
Quelqu’un tape du pied, une autre tapote sa table, un dernier esquisse un semblant de dessin. Rien ne perturbe son calme. Tranquille, il déambule, mais reste attentif.
Les regards sont perdus dans l’immensité de la réflexion. Certains se croisent, s’échangent ; regards de soutien, de désespoir.
Question.
Il se déplace, discret, rapide, presque furtif, vers la main levée. Chuchotement bref, ponctué de coups d’œil rapides. Il retourne à sa ronde, un bref regard vers son poignet.
Il domine, il maîtrise tout : temps, manière, parole, regard, pensée. Pendant le temps qu’il lui est imparti, il définit son univers, impose ses règles. Regard implacable, vigilance constante, rien ne lui échappe. Soudain, le moment est venu :
« Terminé. »
Sec.
Froid.
Sans appel.
Agitation subite : les stylos s’activent de plus belle ; une dernière phrase, un dernier mot, désespoir appelle ultime tentative. Un dernier coup d’œil, une dernière retouche, puis il faut se rendre à l’évidence : leur sort n’est plus entre leurs mains.
Il se place près de la sortie : dernier moment de maîtrise.